Hommage à Daniel Grobet

Daniel Grobet, l’artiste, le sculpteur des «attrape-feux», s’est éteint le 1er février dans son mas de Combe près de Bagnols-sur-Céze dans le Gard. Cet homme à l’enclume d’artiste qui a martelé ses idées pour en faire des chefs-d’œuvre, vous vous souvenez, a vécu parmi nous à Bevaix. Qui ne se souvient pas de son atelier du Chemin des Murdines. De son engagement politique nettement socialiste où là aussi il y mettait ses idées martelées à plaisir dans les discussions sur l’enclume du parti. Un peu moins, il est vrai, nous nous souvenons également qu’il fut pasteur à Paris comme en Corse.

 

Quand Daniel ferme la porte de son église en Corse, terre de soleil et de lumière, il prend un risque. Le risque que prend tout artiste qui sait qu’a priori l’art ne nourrit pas forcement son homme. C’est alors qu’il s’est levé pour entrer dans le domaine de la sculpture où les artistes se confrontent aux traces du spirituel ou du divin. Traces qu’ils souhaitent tout en chacun laisser en héritage à l’histoire de l’humanité. Il est entré dans ce domaine où l’on prie Dieu avec des outils: des pinceaux pour les uns, des instruments pour les autres, mais des pinces, des marteaux, des scies à métaux, des chalumeaux et des machines pour ces artistes comme Calder ou Tinguely, aujourd’hui pour Daniel Grobet. Des artistes qui vont donner à la sculpture cet essor que nous connaissons bien sous les noms de mobile, de mouvement et d’équilibre.

 

Ces concepteurs, artistes pour lesquels les tensions, les torsions, les poussées et la gravité donnent à voir, à toucher des réalités surgies de l’intérieur. Daniel Grobet fait partie de ceux-ci qui ont bénéficié de cet héritage. Certes il s’est démarqué du maître, si j’ose dire, pour lui-même faire flamber son génie d’abord avec ses «forêts», ses «attrape-feux» dont la lumière jaillissait vers le ciel, comme des levées d’espérance. Alors que sur les mobiles de Calder: cela tombait plutôt, si je puis me permettre. C’est lui-même qui soulignait lors d’une interview: “Je suis fasciné par les équilibres, les lumières et les ombres, accompagnés d'énergies simples (eau, vent, sable, feu), générateurs de mouvement. C'est pourquoi ces éléments, ces phénomènes sont devenus le centre de ma recherche, parce qu'ils correspondent bien à la manière dont je perçois la terre tournant sur elle-même et l'homme cherchant à s'y établir depuis les origines entre misère et bonheur. Ces phénomènes, j'essaie de les traduire visuellement car nous les cherchons tous, physiquement et moralement durant toute notre existence. Cette recherche commence avec nos premiers pas. Pour moi, l'équilibre engendre le mouvement, et le mouvement une transformation de la vision de l'objet, et l'objet une forme animée dans l'espace. En fait je ne sculpte pas le fer, je le plie, je le tords, je le frappe, je m'astreins par la conjugaison et l'harmonisation des lignes à sculpter l'espace”.

 

L’œuvre de Daniel Grobet qui aujourd’hui nous est léguée, suite à ses équilibres sur pied, offre à notre regard des cercles, des mouvements courbés en équilibre à terre, mais aussi décollés pour rejoindre notre imaginaire. Ces sculptures nous apportent ainsi rythmes et «cadences» - titre de sa dernière exposition à la Galerie des Amis des Arts de Neuchâtel en mars 2006 -. Un rappel du beau pays de Neuchâtel dans lequel il avait tant d’amis et où il aimait revenir avec Birgit son épouse.

 

Il y a donc dans le témoignage de vie d’artiste et d’homme de foi de Daniel, plus qu’une charge d’intégrité: je suis de ceux qui ont pu mesurer, humainement, combien comptait pour lui l’équilibre, la cohérence et l’harmonie dans une vie. Une vie menée au service d’une cause, projetée dans des visions d’espérance où l'amour, la fraternité et le partage n’ont jamais manqué d’appartenir à sa manière de vivre avec nous.

 

Il est donc de ceux qui à la suite de nombreux chercheurs et artistes a su prendre place parmi «les messagers dressés» face au monde afin de nous permettre d’entrer dans une autre réalité que celle qui nous est si souvent imposée.

 

"Et l’on aime rester devant elles, - ses sculptures - Contempler leur mouvement doux et lent,

Et s’absenter pour un instant du monde qui va trop vite."

Odile de Frayssinet, son amie, elle aussi artiste sculpteur.

 

Jean-Pierre Roth, ancien pasteur de Bevaix